Au lendemain même de son 115e anniversaire, le Belem venait en Mer d'Iroise célébrer, le 11 juin, les 100 ans d'un autre protagoniste de l'histoire maritime française : le Phare de la Jument, au large d'Ouessant. A bord du trois-mâts, un groupe d'Architectes des Bâtiments de France participait à la cérémonie nautique - une occasion pour ces experts du patrimoine historique national de vivre la réalité de notre riche passé maritime tel que l'incarnent deux de ses grands témoins...
Le patrimoine au cœur du voyage Le 11 juin, donc, le Belem appareillait de Brest à 9h pour deux jours de navigation à forte connotation patrimoniale. L'Association nationale des Architectes des Bâtiments de France (ANABF), ayant contacté la Fondation Belem en vue d'une privatisation, avait trouvé tout à fait opportune la proposition qui lui était faite de faire coïncider cette sortie avec les célébrations du centenaire du Phare de la Jument. D'autant qu'à bord se trouveraient également des membres de la Société nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises, un historien spécialiste des phares et... un ancien gardien de phare qui a passé de nombreuses années au phare de La Jument. « Notre association existe depuis plus de trente ans », explique Nathalie Barry, chef du service ABF du Val de Marne, à l'initiative de la sortie sur le Belem. « Elle permet à des ABF de toutes les régions de France de se réunir pour confronter leurs expériences et échanger des idées, des connaissances, sur les questions de patrimoine urbain, architectural et paysager, qu'il soit ancien ou contemporain. Les phares, en tant que patrimoine architectural maritime, nous intéressent et nous avons trouvé encore plus stimulant d'en observer un à partir de cet autre représentant du patrimoine qu'est le Belem ».
La « vie rêvée » d'un gardien de phare Après un premier passage au moteur devant le Phare de La Jument, l'équipage du Belem a fait appel aux « architectes stagiaires » pour l'aider à établir les voiles ; le navire a pu ainsi revenir vers le phare toutes voiles dehors, escorté d'une petite armada de vaisseaux, dont un patrouilleur de la Marine nationale, des canots de la SNSM, des vedettes de passagers et un navire scientifique. Eclairé d'un beau soleil et orné d'une banderole proclamant « La Jument a 100 ans ! », le phare a fait résonner trois coups de sa corne de brume, auxquels ont répondu trois coups venus du Belem tandis que du haut d'un hélicoptère le photographe Jean Guichard immortalisait la parade nautique qui se déroulait autour du rocher. Accoudé au balustre du Belem, Jean Malgorn, très ému, contemplait le phare où il avait passé 12 ans de sa vie et qui aujourd'hui est inoccupé. Natif d'Ouessant, « où tous les jeunes rêvaient d'être gardiens de phare » il a quitté la Marine marchande à 25 ans pour passer le concours de gardien, devenir titulaire et s'installer au phare de La Jument. Jean Malgorne a profondément aimé son métier, la camaraderie entre gardiens (ils étaient trois à se relayer au rythme de deux par 15 jours), les particularités et les exigences de leur travail ; quant au froid qui régnait dans le phare, ils s'y étaient habitués – et se réchauffaient aux fourneaux en mijotant les repas au point d'être devenus d'excellents cuisiniers... « Je n'aurais jamais pu travailler dans un phare terrestre, conclut-il. Il y a trop de monde autour ». Jean Malgorn est d'autant plus ému qu'il vient de réaliser un autre de ses rêves : naviguer sur un grand voilier...
Protéger les phares en mer Aujourd'hui, ce sont ces phares terrestres, comme celui d'Eckmühl sur la pointe de Penmarch qui bénéficient de mesures de protection et de restauration. Les phares en mer, eux, sont un peu les « parents pauvres » de la protection patrimoniale : ils sont inhabités depuis leur automatisation (1991 pour La Jument) et se détériorent sous les effets négatifs de l'humidité ambiante et des tempêtes même si leurs soubassements sont régulièrement entretenus par le service des Phares et Balises. C'est pourquoi, explique Brigitte Godefroy Conan, membre de la Société nationale pour le Patrimoine des Phares et Balises « nous voudrions voir ces phares en mer classés au même titre que les phares terrestres et, d'une façon générale nous voudrions qu'on instaure un système de gestion global plutôt que d'en laisser la responsabilité aux seules autorités locales qui font ce qu'elles peuvent mais ont d'autres priorités. » D'où l'importance, dit-elle, que revêt la présence du Belem à cette première « Bordée d'Iroise » pour les 100 ans de La Jument, pour souligner combien « ces phares font partie du patrimoine maritime au même titre que le Belem ».
Les ABF et le patrimoine maritime La parade nautique s'est poursuivie par un passage du convoi devant le phare de Kéréon ; après sa dispersion, le Belem a fait route vers la baie de Douarnenez pour un mouillage de nuit. Pendant ce temps, à bord, un exposé de l'historien/écrivain Pierre Fichou a permis de se faire une idée encore plus précise et approfondie de l'histoire des phares en France, du rôle essentiel qu'ils ont joué et jouent le long des côtes françaises, de leur architecture, de leur préservation et de l'action menée depuis 200 ans par la Commission des Phares. D'une façon plus générale « notre voyage à bord du Belem, ce bateau emblématique, est l'occasion d'aborder la question du patrimoine maritime et l'anniversaire de La Jument permet de poser la question de la pérennité des phares » remarque Xavier Clarke de Dromentin, Chef du Service Territorial de l'Architecture et du Patrimoine à Chartres. Pour lui comme pour ses collègues, le rôle des ABF n'est pas seulement la préservation : il s'agit de travailler autour d'une même dynamique sur un territoire, qu'il s'agisse d'architecture ancienne ou contemporaine, de paysages, terrestres ou maritimes, en liaison, pour ce dernier cas, avec des interlocuteurs comme le Conservatoire du Littoral.
L'effet Belem... Après la soirée studieuse, la matinée suivante s'est révélée pour le moins... sportive. Appareillage à la voile sous une pluie torrentielle à 8h30 pour bien profiter du vent qui poussait le Belem vers le Nord en direction de Brest, mer nettement moins calme que la veille même si notre vaillant trois-mâts a vu bien pire côté vagues... Tout le monde sur le pont, tout le monde trempé en trois minutes mais visiblement disposé à accepter de bonne grâce qu'un monument historique puisse se mettre à tanguer sous les pieds ! D'autant que l'exemple était donné par le président de l'ANABF en personne : solidement planté derrière la barre, Frédéric Auclair mettait visiblement tout le talent et le plaisir d'un sportif accompli à garder le cap dans des conditions de visibilité et de roulis pour le moins stimulantes... Un plaisir qu'il a confirmé alors que le Belem s'approchait de Brest dans des eaux plus calmes. La décision d'organiser cette sortie à bord du Belem partait, a-t-il confirmé « d'une notion qui est celle de la compréhension physique de l'histoire. Quand on est à bord du Belem, on a un début d'appréhension de ce qu'était la navigation à l'ancienne ». Qui plus est, « notre groupe réunit toutes les sensibilités mais là, nous sommes vraiment sur la même longueur d'onde. Ceux avec qui on est monté à la grande voile, essuyé la vaisselle, on ne les verra plus en simple collègues ! » Bref, le Belem a une fois de plus démontré qu'il n'est pas simplement un beau navire – comme l'a prouvé le récit de son histoire si particulière, contée ce jour-là par le Commandant Jean-Alain Morzadec dans le grand roof bondé, à un auditoire détrempé mais passionné !