Embarquer à bord du Belem est souvent un acte réfléchi, une envie raisonnée... Après avoir découvert le trois-mâts barque lors d’une simple visite, après avoir longé les quais de Nantes ou d’ailleurs, en observant la ligne du bateau centenaire, après avoir entendu les récits d’amis ayant navigué à bord, on se dit, à mon tour, je pars... c’est ainsi que Bruno et Marie- Hélène ont eu envie de prendre le large et ce fut bien plus qu’une navigation de quelques jours... l’émotion a été si grande... le Belem, pour eux, c’est avant tout une histoire de famille…
Sur les quais de St Malo, l’embarquement est imminent, le Belem embarque ses 48 stagiaires et parmi eux, Marie-Hélène, son frère Bruno accompagné de sa femme Martine. Premier stage à bord pour tous et une impatience de naviguer plus que visible. Le bateau, pour eux n'est pas une image de carte postale, il fait partie de leur vie... depuis toujours. Chez eux, Bruno et Marie-Hélène ont des objets, des photos, un tableau, multiples souvenirs qui leur rappellent en permanence le passé du trois-mâts... le Belem s'est installé dans leur famille.
Une histoire de famille discrète
Leur grand père est l’emblématique capitaine Julien Chauvelon, à la barre du Belem, de 1901 à 1914. Sans nul doute, son nom est indissociable de l’histoire du Trois-mâts nantais, car il a marqué la première époque du Belem, celle de la Marine marchande à l’époque où le navire transportait notamment des fèves de cacao pour l’entreprise Menier.
A ce jour, le «capitaine Peinture» (qui souhaitait un bateau toujours impeccable) détient le record de longévité à la barre du Belem. A son bord, une carrière de 25 campagnes transatlantiques, marquée particulièrement par l’éruption de la Montagne Pelée (8 mai 1902), et le convoyage du navire vers l’Angleterre, en février 1914, suite à son acquisition par le Duc de Westminster.
En quittant le quai de St Malo, ce sont quelques unes de ces images qui reviennent en tête, mais partir sur les pas du grand père, c’est aussi essayer de comprendre cet homme qu’ils n’ont jamais connu et qui n’a pas laissé de récits personnels de ses traversées. Pour Marie-Hélène, c’est tout d’abord de l’admiration : « Je suis fière de mon grand-père, je trouve cela très émouvant, je suis contente d’être là avec mon frère, on a baigné dans cette histoire depuis tellement longtemps, et on en rêvait tant..naviguer aujourd’hui, c’est se remettre dans sa peau, ressentir un peu ce qu’il a pu vivre..quelque part, c’est aller à sa rencontre…comme on ne l’a pas connu, on a imaginé des tas de trucs..il ne racontait pas beaucoup de choses en famille, il était plutôt autoritaire et mon père ne lui a pas posé beaucoup de questions... l’époque voulait cela... depuis quelques temps, on a fait pas mal de recherches. Aujourd’hui, on réalise quelque chose d’important, c’était un passage presque obligé et si on ne l’a pas fait avant, c’est sans doute qu’on n’était pas prêt. »
Son frère Bruno confirme : « Pendant toutes ces années, on n’osait pas... pour nous, le Belem, c’était un peu comme une maison de famille, un bien familial. On se l’était approprié, il y avait une volonté d’être discret. Au fil des années, on a rencontré des passionnés, cela a commencé au pied de la Tour Eiffel (en 1981, lorsque le bateau de retour en France fait escale à Paris), le commandant Jean Randier nous l’a fait visiter. Plus tard, on s’est rendu compte que le Belem était dans de bonnes mains, aussi bien parmi l’équipage qu’à la Fondation, on se voulait garant de la mémoire. Dans un premier temps, monter à bord, c’était au-delà du simple rêve. Aujourd’hui, on vient tout juste de partir, je suis dans un état un peu bizarre, c’est une drôle d’impression, mais je me sens bien… »
Un capitaine emblématique
Des souvenirs, Marie Hélène et Bruno s’en sont construit au fil du stage, sous le coup d’une émotion grandissante après la première manœuvre, puis sous le charme d’une navigation de nuit et sûrs de leurs pas lors de l’ascension dans la mâture jusqu’au moment de prendre la barre. Bien plus que mener à bien le trois-mâts, c’était vivre un instant dont ils se souviendront à jamais. Etait-il là à leur côté ou face à eux assis sur le banc des demoiselles, guidant leurs gestes ? Attendaient-ils un signe, une transmission ? Une chose est sûre, cet embarquement leur a apporté un petit plus qui va les accompagner et enrichir le reste de leur vie.
A l’heure de débarquer, les adieux à l’équipage et au navire se font rapidement, peut-être pour ne pas se retrouver submergés là encore par l’émotion, ne pas s’imposer dans la vie du bord, rester discrets. Mais une surprise ralentit le départ, une rencontre inattendue et totalement fortuite sur le quai va lancer la quête d’informations et de souvenirs tous azimuts. Daniel Jehanno, l’ancien Bosco du Belem, qui veille sur le trois-mâts depuis plus de 30 ans, a découvert il y a quelques jours un fac-similé du rapport de mer du 6 Aout 1902, accompagné de la liste des 13 membres d’équipage, partis du Havre pour la Martinique, le 19 mars1902 et de retour à Nantes le 6 août après avoir tous vécu l’éruption de la Montagne Pelée. Une goutte d’eau dans l’histoire familiale que recherchent Marie-Hélène, Bruno et Martine.. Un point de départ aussi dans la recherche de documents aux Archives. Plus rien ne semble désormais devoir leur échapper. Lors de cette navigation, le commandant Julien leur a fait un clin d’œil et cette fois, les yeux fixés vers l’horizon, ils ont fièrement répondu à l’appel.
Christelle Proutière.