1er avril 2019 ; Port-Vendres, petite commune des Pyrénées-Orientales où cette belle dame qu’est le Belem est restée à quai plusieurs mois, abritée des furies d’hiver. Port-Vendres, c’est ici que le coup de départ de la saison 2019 est lancé.
Certains d’entre vous sont arrivés la veille et ont déjà gouté à l’exiguïté des bannettes de la batterie. D’autres viennent tout juste de poser leur sac sur le pont. En timonerie, dans le gréement ou encore en machine, les derniers préparatifs sont en cours. 09h45 le pilote est à bord et les vibrations des moteurs se font sentir. Enfin les dernières aussières sont larguées. Les jetées à peine passées, vous êtes directement mis à contribution pour hisser les premières voiles d’étais. Grand-voile d’étai, foc d’artimon, marquise, diablotin et tant d’autres aux noms tous plus exotiques les uns que les autres. Les ordres fusent, les bras chauffent. Oui, sur le Belem les participants mettent la main à la pâte. Dehors toute une flottille nous attend afin de nous remercier de notre présence à Port-Vendres. Le temps est au beau fixe avec une légère brise qui peine à gonfler les voiles établies.
Passé Port-Barcarès, après trois longs coups de corne de brume en guise de salut, Belem fait cap au large et les petits voiliers de plaisance font demi-tour. Malheureusement nous devront continuer au moteur pendant quelques milles avant que le vent daigne s’orienter correctement. Qu’à cela ne tienne ! Les matelots auront donc bien le temps de vous instruire sur les points de tournage, les spécificités d’un trois-mâts barque et les gestes de base qu’un marin doit très vite acquérir. Pendant ce temps, la terre disparait derrière l’horizon.
20h25 : Un ordre est donné à la radio de la dunette et est repris en écho par le chef de tiers. Il faut établir toute la toile ! Les gabiers redescendus après avoir desserré toutes les voiles, il faut border les huniers fixes et ensuite hisser les huniers volants. Viennent après la misaine et la grand-voile puis ça enchaine avec les perroquets et les cacatois… Sur le pont ça grouille. Vous vous bousculez, cherchez où vous placer. Un matelot vous guide : « Vous, vous serez sur les écoutes ! » « Vous, vous irez aux bras ! » « Toi là, tu te mets paré à choquer sous le vent… » « Etes-vous paré ? On borde ! On brasse ! On hisse ! » « Tiens bon ! Tourne comme ça » « Raccompagne, lâche tout ! Tourné ! » Tous ces mots bien français et pourtant incompréhensibles fusent. Pas le temps de réfléchir, il faut tout donner ! Les dernières voiles sont hissées. Vous pouvez finalement relever le nez pour contempler votre travail ; toute cette énergie coordonnée, transformée en centaines de mètres carrés de toile prêts à se gonfler! Les moteurs sont stoppés et le Belem, poussé par cette maigre brise, avancera doucement vers l’est toute la nuit.
Minuit, changement de quart. Vous passez une heure à la barre, autant à la veille et pouvez ensuite savourer le calme de la nuit lors de votre temps de pose ou encore passer à la timonerie pour quelques explications sur les instruments de navigation et le travail sur carte. C’est la routine du bord, heure après heure, quart après quart et jour après jour.
Le lendemain, les plus courageux montent dans le gréement encadrés par les gabiers. Le temps toujours très calme permet la mise à l’eau du zodiac pour admirer la belle et la prendre en photo. ZPT, comme on dit dans le jargon du bord : Zodiac Photo Tour. Et puis la routine recommence, quart montant, quart descendant, travail, repas et repos… Jusqu’au jour suivant.
Mercredi 3 avril. Pour cette dernière journée le vent daigne enfin se lever. Jolie à bonne brise, brassé en pointe tribord amure, nous faisons route vers la côte qui se rapproche vite. Il faut virer, et chaque marin sait qu’un virement vent-devant est délicat, surtout sur un voilier à phares carrés. Cette manœuvre demande beaucoup de personne sur le pont. En moins de 9 minutes, il se passe une foule de choses qui doivent être bien coordonnées sous peine de manquer à virer. Vous les stagiaires, après briefing, êtes disposés sur chaque manœuvre. Le mot d’ordre est silence et écoute afin de réagir promptement et synchronisé. L’étrave passe le lit du vent, le phare de misaine prend à contre, les marins soufflent, le plus délicat est passé. On contre-brasse et fait porter les voiles carrées de l’avant afin de reprendre de l’erre. Le virement vent devant est passé. Vous avez eu la chance de participer à cette manœuvre. Le virement Lof pour Lof, moins gourmand en petites mains et impossible de manquer, est souvent privilégié de nos jours sur les grands voiliers à voiles carrées, les équipages étant bien moins nombreux qu’à l’époque.
Entrée de la rade de Toulon, bouée d’eau saine sur bâbord, nous avançons au moteur. Un petit navire à moteur s’approche le long du bord. D’un bon, une personne pose le pied sur le pont du Belem : « Pilote à bord !». La fin approche, voiles carguées et serrées nous nous approchons de la Seyne-Sur-Mer. Une fois à quai, toutes aussières capelées raidies et tournées, la coupée est posée sur le quai. Les marins s’alignent pour un hommage aux stagiaires débarquant. Vous sautez sur le quai, le sac tout juste bouclé, et serrez la main de chacun des membres de l’équipage de ce beau navire qui vous aura fait rêver. Pendant que vous vous éloignez sur le quai, vous retournant de temps en temps vers le Belem, les marins déjà s’activent. Nettoyage de la batterie en vue des nouveaux arrivants, préparation de la prochaine navigation, maintenance dans le gréement et en machine… Pas de repos pour les braves, la saison ne fait que commencer.