Mardi 9 avril 2019, Départ de la Seyne-Sur-Mer. Contrairement à la navigation précédente, le vent nous attendait à la sortie de la petite rade. Sud-Sud-Ouest force 2 beauforts virant Ouest puis Nord et forcissant 4 à 5 avec rafales à 6 en fin de soirée. Pour vous naviguants, ce fut une immersion immédiate. La ronde des cabillots à peine terminée il a fallu établir : Faux-foc, Grand-foc, Foc d’artimon, Marquise, Voile d’étai de hune, Huniers fixes et volants, Misaine et Grand-voile puis enfin les Perroquets. Sous un ciel bas et averses, nous avons quitté la baie de Toulon. En fin de journée, une mer agitée malmènera les estomacs de certains d’entre vous.
Notre destination est Nice dans 4 jours. Entre temps, qui sait où nous mènera le vent? Les routes tracées sur les cartes sont rarement suivies. D’ailleurs, on dit bien « route cargo » pour une préparation de traversée. Or nous sommes sur un trois-mâts barque, voilier qui, de plus, est conçu pour marcher principalement au portant et remonte difficilement au vent. En mer, le point de position tracé toutes les heures par le chef de quart ne reste que rarement sur le trait initial. Il faut donc s’adapter et composer avec la météo Méditerranéenne qui se révèle capricieuse et souvent contraire aux prévisions.
Le vent forcissant, les Voiles d’étai de hune et Marquise sont halées bas. Les manœuvres s’enchainent. Ici, la surface de voile doit être constamment adaptée pour marcher au mieux sans fatiguer le gréement et les marins. Anticipation est le maître mot, un perroquet se cargue et se serre facilement par bonne brise. En revanche, par fortes conditions, ça devient un travail épuisant et dangereux.
Par ce vent, pourquoi donc ne pas aller faire un mouillage en Corse ? Initialement au largue en route au SE puis travers bâbord amure, cap à l’Est, à cette allure nous pouvons être en vue des côtes de l’Ile de Beauté avant la fin de la nuit. Mais encore une fois, nous avons parlé trop vite. Vers 4h du matin le vent passe au Nord-Est puis Est-Nord-Est mollissant jusqu’à laisser nos voiles pendre lamentablement. Le très léger souffle qui revient en fin de nuit nous impose cap qui nous éloigne une fois de plus de la destination prévue. A 9h, la décision est prise de lancer les deux moteurs et de carguer les voiles carrées. Le « vent de cale » nous permettra de faire route directe vers Calvi. L’ascension mâture est envoyée et encadrés par les matelots vous pouvez vous mettre dans la peau d’un gabier le temps d’un instant.
12h, une tache jaune apparait sur le radar et se rapproche. Droit devant sur l’horizon le ciel s’assombrit. « Un grain », le mot est lâché. Souvent à l’approche d’un front, synonymes de vent fort avec parfois de brusques changements de direction et de fortes averses réduisant fortement la visibilité, les grains sont la plaie des marins. Bien que nous soyons au moteur, nous scrutons avec attention l’horizon à la jumelle. Pas de moutons en vue, « celui-ci n’a pas l’air très actif ». Soudain un éclair déchire l’horizon, puis un autre. Quelques secondes plus tard un grondement se fait entendre. La décision de le contourner est prise, « A gouverner au Nord !». Les ascensions mâture sont stoppées jusqu’à nouvel ordre. Lentement nous le laissons défiler sur notre tribord. Du niveau de la mer c’est impossible de le voir mais nous pouvons clairement imaginer la forme d’enclume de ce gigantesque cumulonimbus. Dans ce nuage qui peut atteindre 9000m de haut, des forces extrêmes sont en jeu. De forts courants verticaux se croisent. Pluie, neige et grêlons se mêlent, montent et descendent à des vitesses vertigineuses. Sur notre bâbord, seuls quelques nuages hauts sillonnent le ciel. A tribord nous pouvons apercevoir sur un fond d’encre des rideaux de pluie entrecoupés de zébrures reliant le ciel et la mer. Situés juste à la limite nous avançons sous quelques gouttes. Le grain bien sur notre arrière nous revenons au cap initial et apercevons enfin les montagnes Corses.
18h25 : le frein du guindeau est desserré et l’ancre plonge dans les eaux calmes de la baie de Calvi. Les vibrations de la chaîne se ressentent jusqu’à l’arrière. Le frein est resserré, le navire cule et la chaine se tend le rappelant vers l’avant. Cela s’appelle faire tête, étape cruciale indiquant que l’ancre a bien croché le fond. Quelques longueurs de chaine supplémentaires peuvent être ensuite dévirées pour assurer une nuit tranquille. Après le repas, le zodiac est mis à l’eau. Vous, naviguants, aurez donc l’opportunité d’aller mettre pied à terre et visiter la citadelle de Calvi. Les navettes sont assurées toutes les demi-heures jusqu’à minuit et gare aux retardataires car vous serez bien forcés de passer la nuit à terre ! 8h40 le lendemain, l’ancre est dérapée. Sous un beau soleil et bien à l’abri sous le vent des montagnes, nous ferons route au moteur, en longeant la côte jusqu’au cap Corse où nous établirons toute la toile. De temps en temps quelques rafales catabatiques lèvent des moutons sur la mer. Le contraste est saisissant entre les sommets enneigés perçant entre les nuages et la côte verdoyante plongeant dans une mer d’un bleu profond.
Nous pourrons résumer cette navigation par deux mots très courts : « on, off ». Car encore une fois le vent de Nord-Est bien établi est tombé. Les moteurs durent être redémarrés dans la nuit pendant quelques heures et stoppés pendant le quart du second capitaine qui battra le record de vitesse de cette traversée, 6.5 nœuds avec une moyenne à 5 nœuds. Au petit matin, la baie de Monaco est en vue. Nous continuerons notre route jusqu’à Nice en serrant la côte.