« Le maître d’équipage Daniel Jéhanno, Bosco emblématique du trois-mâts Belem a « largué ses amarres » ou plutôt comme disaient les marins de la grande époque commerciale du navire a « filé sa bosse par le bout » expression qui exprime qu’irrémédiablement un canot, ne peut plus être relié à la terre par sa bosse (petite amarre) car ce lien physique lui a échappé…
Daniel Jéhanno a été « mon bosco », en alternance avec Patrice Cahérec pendant treize années… C’est dire si je le connaissais bien !
Son parcours atypique, ayant été chauffeur de taxis à Paris au début de sa vie professionnelle, ne l’a pas empêché à travers une passion immense pour les grands voiliers de commerce, leurs équipages et cette période glorieuse de la navigation à voile de devenir un bosco dans toute l’acceptation du vocable.
Grand gardien de la tradition ayant la connaissance réelle du matelotage si riche de détails, il a réalisé une grande partie de la confection du gréement et son renouvellement, assuré un entretien ne dérogeant pas à la règle de l’art qui faisait entre autre la fierté de son commandant.
Ne tolérant pas la mauvaise utilisation des mots marins, j’avais en « mon bosco » une personne comprenant parfaitement les subtilités et les nuances du beau et nécessaire langage marin si bien décrit par le grand auteur et marin Joseph Conrad …
Il avait à l’esprit la nécessaire persévérance afin de réussir les actions commandées par les officiers de quart ou le commandant et dictées par les conditions existantes souvent dantesques tel cet évènement dont je me souviens…
Au large du cap Finistère, entrant dans le golfe de Gascogne qui peut être redoutable, par force 11, sous toile très réduite en fuite devant le temps dans une mer devenant grosse et dangereuse où la gouverne devenait difficile et dangereuse pour l’homme de barre, le petit foc aidant à gouverner à cette allure a explosé dans un bruit sec comme un coup de canon, il ne restait plus que les ralingues, la voile avait disparu…
Je fais appeler le bosco lui demandant d’envoyer un autre foc, manœuvre risquée dangereuse et pas du tout certaine de réussir dans cette tourmente inhumaine, en lui expliquant que c’est indispensable pour pouvoir gouverner à cette allure d’avoir un foc bordé plat et ne pas risquer de tomber en travers de la mer. Je sais que l’opération n’est pas certaine de réussir, je connais la difficulté, mais je dois donner cet ordre pour la sécurité du navire…
Le bosco groume… il n’est pas content mais réunit ses hommes pour cette opération et bien entendu il réussit….
C’est cela un bon bosco et du temps des grands voiliers de commerce les capitaines avaient un grand respect pour les maîtres d’équipage, j’ai également ce respect.
Tous les marins aiment « leur bateau » d’un amour immense et les servent avec beaucoup de cœur, c’était le cas du Bosco Daniel Jéhanno mais je dirais qu’il a été en plus un très grand serviteur du trois-mâts barque Belem sur de très nombreuses années pour la grande satisfaction de ses commandants et de son armateur, la Fondation Belem.
Que le roulis des allures portantes, bien connu dans les alizés divins cette fois berce Daniel Jéhanno dans une éternelle et douce navigation sur un beau trois mâts imaginaire, sachant qu’une partie de sa mémoire imprégnera et pour longtemps le Belem… »
Commandant Marc Cornil,
Capitaine du trois-mâts Belem de 1990 à 2003