Le père fondateur de la fondation Belem, Jérôme Pichard, vient de s’éteindre à l’âge de 92 ans. La Fondation Belem lui doit son existence. En guise d’hommage, retour sur cette personnalité hors norme qui a remis à la mer notre cher trois-mâts.
Un passionné : bien que né à Paris (1930), Jérôme Pichard se passionne pour la mer et la marine. Jeune, il rêve d’entrer à l’école navale mais sa vue est, à l’époque, un handicap rédhibitoire qui entrave son ambition. Il se résout à des études de droit et de sciences politiques qui lui permettent de mener une brillante carrière, accédant rapidement à des postes de direction dans l’industrie (machinerie, pharmacie, énergie) puis à la chambre de commerce de Grande-Bretagne. Mais, c’est à la tête de l’Union Nationale des Caisses d’Epargne de France, qu’il dirige à partir de 1975 comme Délégué Général, qu’il réussit à concilier vie professionnelle et passion pour la mer. En août 1979, le président Valéry Giscard d'Estaing souhaite qu’une année entière soit consacrée au patrimoine. Jérôme Pichard saisit l’opportunité. Et c’est à la sauvegarde du patrimoine maritime qu’il pense en lisant un entrefilet dans le Figaro mentionnant la mise en vente d’un grand voiler français, retrouvé par hasard à Venise par une association.
Un audacieux : il fallait une bonne dose d’audace pour imaginer utiliser le fond de réserve et de garanti du livret A, dont une partie était consacrée aux actions publicitaires, pour acheter un trois-mâts. Pour Jérôme Pichard, c’est une évidence : sauver le patrimoine maritime français glorifiera la Caisse d’Épargne.
Un homme de conviction : Jérôme Pichard est très vite confronté à de nombreuses difficultés qui entravent le projet de rachat. Mais il y croit et ne lâche rien. Et c’est assurément grâce à sa force de persuasion hors nome, qu’il va réussir à convaincre le Trésor Public du bien-fondé de l’opération et d’autoriser le déblocage des fonds. Il s’entoure du Docteur Gosse - celui qui a ré-identifié le Belem, du Commandant Randier - fin connaisseur des savoir-faire de la grande marine à voile pour piloter l’ensemble des aspects techniques, et enfin de fidèles bénévoles. Il a trouvé la formule gagnante.
Un visionnaire : de manière étonnamment visionnaire, Jérôme Pichard est convaincu que la préservation du patrimoine maritime national peut être financée par un groupe bancaire– en lieu et place de l’Etat - et qu’un tel acte serait bénéfique à son image sur le plan national. Il rêve d’une opération symbolique qui engagerait l’ensemble des Caisses d’Épargne sur une grande cause nationale. Cette vision devient réalité avec le Belem et fait de l’homme un précurseur du mécénat. En posant la première pierre de la fondation Belem, il impulse un grand mécénat, très certainement l’un des plus importants mécénats en France, de par sa longévité (42 ans) et le cumul des sommes investies durant toutes ces années.
Un engagement indéfectible : Jérôme Pichard n’a jamais cessé de se préoccuper du devenir du Belem. Ses trois enfants ont dû très vite s’accommoder de ce 4ème frère qu’il surveillait de son balcon du boulevard Delessert, lorsque le navire était amarré à Paris au début des années 80. En juin 2016, il embarque, entouré de son fils et petit-fils : il effectue alors sa dernière navigation de Bayonne à Bordeaux, insistant pour être traité comme un simple navigant. Lors de la conférence sur l’histoire du Belem, le capitaine, lui cède la parole : à 88 ans, il raconte, au pied levé, la genèse de la fondation Belem. Les stagiaires, assis dans le grand roof, sont fascinés, suspendus à ses paroles. Ils en oublient d’aller déjeuner.
Un homme fier : début 2020, à l’âge de 90 ans, il rappelle la fondation, soucieux de transmettre ses souvenirs, raconter la grande aventure de sa vie et consigner l’histoire. Sa plus grande fierté n’est pas d’avoir sauvé le trois-mâts ; c’est de s’être endormi, apaisé à l’idée que la fondation lui survive, dans la lignée de sa mission d’origine : continuer à faire naviguer le trois-mâts et émerveiller petits et grands.