En escale au Havre début mai, le Belem y était aussi à l'honneur à travers une exposition de planches originales du dessinateur Jean-Yves Delitte, dont le 4e et dernier album consacré aux aventures du trois-mâts vient de paraître. Maître d'œuvre de l'exposition, Jean-Marc Thévenet est le créateur et directeur de la Biennale d'art contemporain du Havre, après avoir été directeur du Festival international de la BD d'Angoulême. Il commente l'exposition et plus largement, en fin connaisseur, l'œuvre de Delitte ...
Lorsque vous avez réalisé cette exposition « L'Epopée marchande du Belem vue par Jean-Yves Delitte » connaissiez-vous déjà le navire lui-même ? Oui mais à dire vrai, je ne connais pas le Belem depuis très longtemps. J'ai été amené à découvrir son existence et son histoire après la publication du troisième volume de Jean-Yves Delitte ( « Le yacht du bagne » publié en 2009) à l'occasion d'une exposition organisée par la Caisse d'Epargne à Angoulême. Je l'ai vu pour la première fois à Nantes il y a un peu plus d'un an. J'ai donc découvert le Belem en dessins avant de le voir « pour de vrai »... et je l'ai trouvé formidable !
Qu'avez-vous tenu à mettre en évidence, en valeur, à travers cette exposition que les Havrais ont pu découvrir en même temps qu'ils pouvaient visiter l'original des dessins ? Une exposition écrit toujours une histoire, de façon soit narrative soit thématique. Dans le cas de l'exposition Delitte/Belem, le dessin très réaliste nous a fait privilégier bien sûr l'aspect narratif. Nous avons choisi des planches qui valorisent le navire lui-même, en respectant la chronologie des différents albums, en y adjoignant des objets issus du Belem et en accompagnant les dessins de cartels explicatifs. Delitte, qui fait partie des auteurs de BD « réalistes », est un auteur très scrupuleux qui a réussi, en tant que scénariste, à créer un équilibre entre la fiction et la réalité. La BD dans ces conditions devient aussi un outil pédagogique. On rejoint la grande tradition des films de pirates et de corsaires des années cinquante...
S'il s'agit d'un outil pédagogique, la série des « Belem » est-elle pour autant limitée à un public de jeunes ? Pas du tout, cette série est incontestablement « tout-public ». On retrouve une même filiation entre ces albums de Delitte et la célèbre série des « Passagers du Vent » – même si les héros de François Bourgeon sont des personnages de fiction. Nous sommes dans la grande lignée des héros de BD comme Corto Maltese si ce n'est que Delitte a fait du bateau un héros...
Qu'est ce qui caractérise l'univers graphique de Jean-Yves Delitte à travers les différents albums dédiés au Belem ? Jean-Yves Delitte appartient à la grande tradition des auteurs réalistes en bande dessinée, école graphique qui après avoir enchanté les magazines de bande dessinée dans les années 1950-1960 comme Tintin ou Spirou était tombé un peu en désuétude. Le graphisme de Jean-Yves Delitte en particulier dans les scènes de mer était assez exceptionnel. Cette force du dessin a rendu possible le pari de métamorphoser un bateau en personnage à part entière. Il sait parfaitement mettre en scène le Belem comme le ferait un réalisateur, il suffit de penser ici à « Master and Commander » de Peter Weir avec ces cadrages en gros plan, en contre-plongée du bateau lui-même. La vie du bateau emporte le souffle du récit et lui donne toute sa puissance.
La saga du Belem est au départ une commande de la Fondation Belem... Effectivement et c'est un point important à évoquer. La commande en bande dessinée comme au cinéma n'a rien d'exceptionnel : les plus grands auteurs de bande dessinée ont réalisé des commandes, Hergé lui-même avait son studio de publicité. Ce qui est remarquable c'est le rythme de cette commande. Nous en sommes déjà à quatre albums qui ont trouvé leur autonomie narrative et les aventures du Belem vivent désormais seules en parfaite autonomie. Le Belem comme un personnage récurrent de bande dessinée traverse des lieux, des époques, croise d'autres univers...
La bande dessinée reste-t-elle un bon vecteur pour populariser l'image du Belem ? Dans une période où le livre en général ne se vend pas bien, la bande dessinée reste la grande exception. Il paraît quelque 4500 titres par an, qui offrent une multiplicité de propositions artistiques tout à fait extraordinaire. Avec près de 80 000 albums vendus à ce jour, on peut penser que la série Belem en BD étend la notoriété du Belem à un public qui n'aurait pas été spontanément attiré par ce sujet. Mais elle amène aussi à la bande dessinée un public peu familier au départ du 9ème art.
Les quatre albums de Jean-Yves Delitte publiés aux Editions Glénat : « Le Temps des naufrageurs », « Enfer en Martinique », « Le Yacht du Bagne » et « La dernière traversée » sont disponibles dans la Boutique du Belem.